AHWK – Les amis du Hartmannswillerkopf

NOEL 1914 AVEC LE 15ème B.C.P.

NOEL 1914 AVEC LE 15ème B.C.P.

Témoignage de Monsieur C. Bertrand Colonel HR.
En ce jour de Noël, je relis votre lettre du 17 et je revois mon Noël 1914.
A son évocation, tous les petits ennuis actuels m’apparaissent dérisoires.
Et il me plaît de vous narrer le Noël d’il y a 68 ans… !!!

Relevé du secteur de la Lauch (scierie de Linthal qui a disparu) en A.P.
Markstein – Grand-Ballon que nous tenions depuis fin août, nous étions venus le 22 cantonner à Wesserling dans les usines Gros. On y avait préparé les fêtes de Noël. J’étais alors sergent à la 4ème compagnie du 15ème B.C.P. Notre mess était installé dans la villa d’un contre-maître, située dans le parc à l’Est de l’usine.
Le 25 au soir, on était donc attablés, la douzaine de sous/off de la 4ème Cie, autour de la table de la salle à manger de nos hôtes qui étaient nos invités. Le repas tirait à sa fin : on était aux chansons et l’on se préparait à assister avec nos hôtes (Monsieur et Madame, deux jeunes filles, 14 et 17 ans, un garçon plus jeune) à la messe de minuit. L’ambiance était
évidemment joyeuse. Guerre oubliée.
Subitement, la porte s’ouvre : le planton de la 4ème Cie apparaît, affairé, et nous crie « Alerte ! Le Bataillon part dans 1 heure ».
Evidemment, adieu chants, messe, etc. la réalité nous reprenait. On distribue les vivres pour le lendemain : haricots secs, morceaux de porc crus. Tout ce qu’il y avait de plus approprié aux circonstances, mais l’Intendance n’en a cure ! On boucle les sacs…et, le Bataillon prend la route de Thann.
Vers 2h, au matin du 25-arret à Willer- on repart en direction du Nord sur la route de Goldbach. Peu après, formation en colonne par un, on s’engage dans la forêt à l’Est sur des sentiers ou pistes forestières, sur une pente assez raide, détrempée, car la pluie tombe toujours.
Nous sommes guidée, parait-il, en tête par un Alsacien, habitant du pays. Plus on monte, plus la pluie se transforme en neige et le sentier en patinoire. On arrive ainsi vers les 7h au sommet de la crête, en lieu que nous saurons être plus tard « Thomannsplatz ».
Le lieu est loin d’être agréable en cette saison ; le stationnement y est pénible, on est trempé et l’on grelotte. Impossible de profiter de l’arrêt assez prolongé pour faire le café. Les officiers sont partis en reconnaissance, ils en reviennent vers 10h. Nous apprenons alors à quoi nous sommes destinés : le 15ème BCP doit s’emparer du village d’Uffholtz situé au pied de notre colline, dans la plaine à l’Est.
Comme Bonaparte l’avait fait au Mt Cenis pour encourager ses troupes entrant en Italie… on nous laisse prévoir que, sans aucun doute, nous occuperons ce soir les maisons confortables d’Uffholtz et que nous y préparerons un repas succulent avec nos haricots secs et notre porc cru.
On part donc sur la crête en direction du Nord, puis face à l’Est. Notre objectif est à nos pieds, on distingue tout juste le clocher qui émerge au-dessus de la colline qui porte la Chapelle St Antoine. Vers les 13h, on dévale la pente, non sans de multiples incidents sur le sol glacé. Ma compagnie est en 2ème échelon. A mi-parcours, une violente fusillade éclate devant nous et à notre droite. Devant nous, c’est le 1er échelon qui, dès le débouché du bois dans le vignoble a été reçu par de violents feux
d’infanterie provenant des lisières du village.
A notre droite, c’est le 15/2- objectif Steinbach- qui a été reçu de la même façon par les occupants ennemis du village.
Mon échelon continue à progresser jusqu’aux lisières de la foret. De là on se rend compte de la situation. Ma section est sur l’arête de la croupe qui porte la Chapelle St Antoine (non de l’emplacement actuel).
Nos camarades du 1er échelon sont plaqués dans le vignoble, à 100m des lisières du village, dans une terre argileuse, détrempée et glacée.
Impossible de bouger, notamment du fait des tireurs embusqués dans le clocher du village. Seul, la nuit leur permettra de creuser un trou, immédiatement plein d’eau mais offrant malgré tout un abri dans cette
baignoire improvisée.
La situation ne s’améliore guère. Nous n’avons comme appui d’artillerie que quelques 65 de montagne, en batterie quelque part vers Thann. Les trous individuels deviendront des ruisseaux dans lesquels on sera obligé, pour les occuper, d’emporter avec soi à chaque relève, un fagot sur lequel on pourra tout juste s’asseoir.
Les blessés ne pourront être évacués que sur brancards par les sentiers abrupts qui vont sur Thomman. La nourriture sera absente durant 48h pour la même raison : difficultés des communications. Nous sommes un Bataillon de Chasseurs à pied, nous n’avons pas d’équipes muletiers et il n’existe aucune route ou piste accessible à nos voitures de compagnie tirées par des chevaux. Par la suite, les vivres nous parvenant, les cuisines dans les ravins au dessus d’Uffholtz ne pourront fonctionner que de nuit, car de jour, repérées par les fumées, elles seront prises à parti par les batteries du Bois de Nonenbruck.
Alors un ravitaillement journalier qui nous parviendra froid d’ailleurs vers 1 h ou 2 h du matin.
Par la suite, j’ai pris position en première ligne – 10 m environ en avant de la chapelle -. La nuit, on s’y rendait à tour de rôle pour battre la semelle, sous le regard paternel de St. Antoine.
On était relevé toutes les 48 h pour aller dans la forêt – à 500 m derrière – où l’on s’abritait dans des huttes couvertes de branches de sapins qui auraient pu abriter du soleil, absent, mais qui étaient insuffisantes contre la pluie, la neige, le froid.
A cette époque, notre équipement ne comportait ni toile de tente, ni chandail. Il avait été prévu dans le sac, au départ, la petite veste dite « ras-pé », mais au cours de la campagne en août, dans la plaine, sous le soleil, nous avions allégé le sac et « semé » la veste. Nous en étions réduits à la capote et à une chemise, maigre défense contre les intempéries.
Il y a eu des évacuations assez nombreuses pour bronchites et surtout gelures des doigts et des orteils – mais moins que l’on pourrait le penser.
L’homme est véritablement dur.
Il n’en reste pas moins que je ne peux oublier ce Noël 1914, comme les jours qui suivirent et qui restent pour moi les plus pénibles que j’ai dû supporter dans ma vie militaire – qui en compte d’autres – mais jamais aucune n’ayant exigé autant de courage moral, de patience et de résignation stoïque.
Et vous comprendrez qu’en ce jour, comme pour tous les Noëls précédents, je ne puis oublier ces terribles journées, ce qui m’aide à bien supporter les petits ennuis que l’âge nous apporte avec lui.
Alors excusez-moi de vous imposer cette lecture, qui n’est pas une lamentation, mais une évocation réconfortante au contraire, qui donne confiance en soi-même et aux autres – car je suis loin de me croire une exception – mes camarades ont souffert et supporté comme moi.

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